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1/1/1987  Best
Dites 33
Trop embrasse... mais bien étreint
The Cure
« Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me »
(Fiction-Polydor)

« J’ai tout d’suite détesté l’atmosphère de cette salle de conférence malgré l’extrême courtoisie de celle qui m’y conduisit (« Désirez-vous quelque chose à boire? Du papier? Un stylo pour prendre des notes?»). Le néon me piquait les yeux, rebondissait sur le chrome des chaises vides, vibrait désagreablement sur les armoires métalliques qui occupaient un pan entier de mur (et dont je me demandais ce qu’elles contenaient). Pièce glaciale qu’un vague effort décoration botanique - arbre en vrai troc et faux feuillage - réchauffait à peine. Et qui me par–t d’autant plus immense quand l’h"tesse me laissa seul. Ce n’était ni l’heure ni l’endroit rêvés pour découvrir « Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me », ca devait pourtant l’être puisque j’étais venu pour ca. Situation absurde, dictée par la politique du secret, la nécessité (?) de l’événement, la parano protectionniste: « L’album ne sort pas de la maison avant sa sortie ». J’enclenchais la touche « play » du magnétophone casque vissé aux oreilles pour éviter toute perturbation et tenter de me mettre en état d’écoute... »

« Kiss Me » trois fois c’est meilleur, fquatre faces pour que le plaisir dure, cinq musiciens acquis á la même cause d’obscurité et de lumière, dixhuit titres inédits lancés comme autant de pétards à la face du Raisonnable (tel que re-défini par la mutation de la création progressivement passée du stade artisanal au stade industriel). Ainsi se présent The Cure cru 87: un double-album studio en forme d’invraiseblable puzzle sonore dont les morceaux s’envolent vers toutes les directions, possibles ou impossibles - ice rendues possibles. Et qui tientaussi bien de « Ummagumma » (ovsession psychédélique rampante), « Electric Ladyland » (impact des courts-circuits) ou « Blonde On Blonde » (oeuvre plut"t que produit). Mais qui pourtant n’a rien à voir avec ces pages essentielles de l’histoire du rock car la spécificité de ce groupe est bien de n’en faire qu’à sa tête (Robert Smith ?) et de ne cultiver comme référence que sa propre évolution. En jouant depuis toujours les allées sinueuses, les stratégies obliques, les perspectives imprévisibles. Et si d’un disque à l’autre, un public de plus en plus nombreux s’est familiarisé aux brusques changements d’humeurs de Smith et ses compères, c’est parce qu’il a compris ne pas devoir attendre de ceux-ci qu’ils exploitent une formule même quand elle est gagnante.

Plus surprenant sur la distance, le fait que malgré cette constante fuite de la redite, The Cure reste The Cure dans la moindre mesure. Comme si, au-delà des ruptures formelles ou des partis-pris esthétiques ponctuels, le group était UN son qui doit autant aux résonnances de ses instrumentistes qu’à une VISION des choses extrêmement personnelle et très tangiblement manifestée par sa musique.

« Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me » The Cure nous fait (tellement) de tout sans toucher son essence et nous entraine dans des tas d’états contradictoires destabilisateurs (en gros, de l’adhésion immédiate au rejet non moins immédiat). Difficile d’en dire plus - pénétrer le mystère? - mais ressentir « Kiss Me » trois fois tour à tour beau et saisissant (« Just Like Heaven », « Fight »), violent et inflammable (« Shiver And Shake »), hypnotique et pesant à la limite du supportable sauf si on la franchit (« King Sugar », « Snake Pit »), grincant et torturé (« The Kiss », « All I Want »), désordre et même brouillon (« How Beautiful », « Torture »), bourré mais de feeling (« One More Time », « Catch »), anecdotique d’une sacreé puissance ascensionnelle (« Fight », encore), auto-satisfait (« 100 Hours », « Like Cockatoos »), cinématographique (« If Only Tonight We Could Sleep ») etc... List non exhaustive.

Le mois dernier dans ces colonnes, Robert Smith déclarait « A l’exception de ceux qui nous ont toujours détestés, je pense que tout le monde pourra trouver son bonheur dans ce disque... ». Le bougre a sans doute raison, pourvu que chacun sache ce qui fait son bonheur. Et accepte de se laisser complètement dérouter. Par cinq artistes qui osent et s’exposent, prennent le risque du grand plantage mais visent l’incontestable réussite. Et rappellent avec brio qu’en musique aussi, on peut caser les stéréotypes, enfreindre les règles, transgresser les interdits. En excitant les sens et finir (sans le faire exprès?) par énerver et séduire en même temps.

Partant de là, « Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me » est un bon disque et The Cure a fait son métier (qui consiste selon Smith à faire de bons disques). Pour cerner en détails le comment du pourquoi, il eu fallu pouvoir l’entendre normalement.

- Jean-Michel Reusser

 

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